Natacha Henry : « Les journalistes ne sont pas obligés de véhiculer des stéréotypes sexistes »

Natacha Henry

©Stephen Clarke

Spécialiste des questions de genre dans la culture populaire et les médias, Natacha Henry , journaliste et écrivaine (1), débattra de la place des femmes dans l’information le 9 juin 2011, à Paris, à l’occasion de rencontres intitulées « Dites-le avec des femmes ! ». Un questionnement dont les journalistes ne peuvent faire l’économie s’ils veulent en finir avec le sexisme. Une réflexion récemment placée au coeur de l’actualité par l’affaire DSK.

Qu’est-ce qui vous semble le plus problématique dans la vision que les médias d’information proposent de la société ?

Il y a deux choses préoccupantes. D’abord, l’intelligence des femmes est rarement mise en avant. Elles sont peu nombreuses sur les plateaux d’experts à la télévision, par exemple, et sont rarement placées dans des situations sérieuses. Dans les reportages, vous trouverez plus souvent des femmes, témoins, appelées par leur prénom, et des hommes, experts, avec un nom et une fonction. Tout cela contribue au fait qu’elles ne soient pas prises au sérieux, d’une manière générale.

Ensuite, on ne prend pas non plus au sérieux les violences faites aux femmes dans la presse. Je veux dire par là que lorsqu’une femme est victime de violences conjugales, on met cela dans la catégorie « amour déçu », « drame de la passion amoureuse », alors qu’on sait très bien que celui qui frappe, jusqu’à tuer parfois, le fait à l’issue d’un long processus de violence. Et lorsqu’une fille est victime de violences sexuelles, il faut qu’elle soit une quadragénaire avec enfants et sans histoire pour qu’elle soit une bonne victime. Si elle est un peu trop libre, entre guillemets bien sûr, cela va faire l’objet de commentaires. Le problème, c’est que de tels propos ont des conséquences terribles pour les femmes, qui n’osent pas témoigner, parce qu’elles pensent qu’on ne les croira pas.

La féminisation de la profession de journaliste contribue-t-elle à faire évoluer les choses ?

Quand je fais des interventions autour de ces questions, et que j’explique, par exemple, que lorsqu’une femme meurt sous les coups de son ex, ce n’est pas un « drame de la rupture », comme on peut le lire ou l’entendre, les journalistes me disent souvent qu’ils n’y avaient même jamais pensé. On peut écrire « drame de la rupture », comme « cerise sur le gâteau ». C’est une expression toute faite, à laquelle n’ont pas forcément plus réfléchi les femmes journalistes que les hommes. D’autant que cette question est rarement abordée dans les écoles de journalisme. Alors même si la profession se féminise (lire notre billet à ce sujet), les femmes ont tendance à faire comme les hommes.

Le site d’information Les Nouvelles News, organisateur du colloque du 9 juin, respecte la parité femmes-hommes pour chaque sujet.  Ce faisant, n’offre-t-il pas une vision tronquée de la société alors que les inégalités demeurent ?

Cette vision sera toujours moins tronquée que celle qu’en donnent aujourd’hui les médias en général ! Actuellement, la parole est donnée aux hommes à 75%. Ce qui n’est pas plus représentatif de la société. Il faudrait donc s’imposer un traitement paritaire des papiers ainsi que des plateaux de télé paritaires. Et ne pas hésiter à se dire que lorsqu’on va faire un reportage à l’hôpital, par exemple, on n’est pas obligé d’interroger « le professeur Jean Dupont » et «une infirmière ». Les journalistes ne sont pas obligés de véhiculer des stéréotypes sexistes. Pourquoi ne seraient-ils pas là pour contribuer à transformer la société ?

Avez-vous le sentiment que l’affaire DSK donne un nouveau souffle à cette réflexion sur les stéréotypes sexistes dans les médias ?

L’affaire DSK change tout. Elle a été l’occasion d’une mise en avant du ringardisme de certains intellectuels français totalement sexistes, à qui l’on donne beaucoup la parole dans les médias. Et ce qui a changé, c’est que tout le grand public a été d’accord avec les féministes pour dire qu’il y en avait assez des propos tenus par BHL, Jean-François Kahn ou Jack Lang, notamment. La masse critique a basculé. Pour la première fois, les féministes sont officiellement du côté de la modernité.  Grâce à cette histoire là, je suis très optimiste.

Propos recueillis par Isabelle Maradan

@leducentete

(1)  Natacha Henry est l’auteure de :

– Frapper n’est pas aimer, enquête sur les violences conjugales en France, éditions Denoël. (2010)

– Les Filles faciles n’existent pas, essai, éditions Michalon. (2008)

– Les « mecs lourds » ou le paternalisme lubrique, essai, éditions Robert Laffont (2003): nouvelle édition le 1er août 2011

– Dites-le avec des femmes, le sexisme ordinaire dans les médias, éditions CFD/AFJ, avec Virginie Barré, Sylvie Devras, Monique Tranact (Juin 1999).

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Classé dans La vie de la presse

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